Merci à Actuel CSE : L’enquête commandée par la fédération CGT du verre et de la céramique sur le ressenti au travail des salariés de ce secteur montre une situation préoccupante : 82% des salariés ressentent les effets du travail sur leur santé physique et 69% sur leur santé mentale. Le syndicat souhaite faire de ces résultats un levier pour revendiquer de meilleures conditions de travail, améliorer les fins de carrières et obtenir des dispositifs mutualisés de départ anticipé en pré-retraite.
L’initiative est originale : la fédération CGT du verre et de la céramique a commandé au cabinet 3E Conseil une enquête sur le “ressenti au travail” des travailleurs de ces branches (*). Environ 60 000 salariés travaillent en France dans les industries du verre et de la céramique, qui combinent souvent travail posté et conditions pénibles, avec chaleur et inhalation de produits dangereux. Objectif de l’enquête : identifier le mal-être au travail et cerner les conséquences sur la santé physique et mentale des salariés des politiques de baisses d’effectifs et des formes de management comme le Lean
“Ces organisations de travail ne donnent plus de pouvoirs décisionnels et budgétaires aux salariés et notamment aux agents de maîtrise et aux cadres”, dénonce Mohammed Oussedik, le secrétaire général de la fédération CGT. Ce dernier entend utiliser cette enquête, qui sera effectuée tous les deux ans, comme un point d’appui syndical pour améliorer les conditions de travail dans les entreprises, “desserrer l’étau de la pression psychique au travail”, et revendiquer de nouveaux droits, comme l’aménagement des fins de carrière à travers la mise en place “de dispositifs mutualisés de départ anticipé en pré-retraite”.
En clair : les sections syndicales CGT dans les entreprises du verre et de la céramique sont invitées à confronter leurs directions aux résultats détaillés de cette enquête, une somme de 150 pages, afin de les inviter à ouvrir des négociations. “Nous voulons pousser les directions à négocier l’organisation du travail. C’est un des points sur lesquels nous n’arrivons pas aujourd’hui à discuter, sauf lorsque nous déclenchons des expertises à la suite d’événements graves comme des suicides ou des accidents. Les résultats que nous avons obtenus doivent nécessairement intéresser les directions qui ne connaissent pas vraiment la situation sur le terrain”, nous explique Mohammed Oussedik.
Une enquête basée sur 1 820 salariés de 25 entreprises
Menée en mai et juin 2019 auprès de 1 820 salariés (syndiqués ou pas) de 25 entreprises du verre et de la céramique (227 salariés d’Arc International, 170 de Baccarat, 92 de Saint Gobain Chantereine, 71 de Terreal, etc.), cette enquête, restituée en octobre 2019, a été effectuée avec le modèle dit karasec. Ce questionnaire permet d’évaluer l’intensité de la demande psychologique à laquelle est soumis un salarié, la latitude décisionnelle dont il dispose et le soutien social qu’il reçoit sur son lieu de travail (sur cet outil, lire notre article). Comme le résume le schéma ci-dessous, la combinaison d’une forte demande psychologique (c’est-à-dire des exigences psychologiques venant du travail) et d’une faible latitude décisionnelle correspond à un risque avéré pour la santé physique ou mentale, une situation aggravée en cas de faible soutien social.
La restitution de l’enquête, à laquelle seuls 41 cadres et 295 agents de maîtrise ont répondu, montre la représentation que se font les salariés, majoritairement âgés de 35 à 46 ans, de leurs conditions de travail. La reproduction sur une carte des résultats par entreprise montre que dans la majorité de celles-ci, la situation n’est pas bonne. La plupart des sites se trouvent dans la catégorie “tendus”, dite de “job strain”. Dans ces sites, si l’on en croit l’enquête, les travailleurs éprouvent une forte tension au travail dans la mesure où ils sont faiblement autonomes tout en éprouvant des exigences psychologiques élevées au travail (notion de “demande psychologique”, DP). D’où un déséquilibre potentiellement dangereux pour la santé.
Les résultats sont comparés aux moyennes de Sumer
Ainsi, les scores obtenus en matière de demande psychologique (DP) s’avèrent souvent plus élevés que la moyenne nationale observée lors de l’enquête Sumer de 2010 effectuée à l’échelon national (**). “Les organisations du travail dans les entreprises du secteur et les process de fabrication du verre, en règle générale et malgré leur diversité, ont donc plutôt tendance à exposer les salariés à des conditions de travail dans lesquelles la quantité de travail ou son intensité peuvent être excessive, le travail peut être bousculé, interrompu, morcelé, et les injonctions contradictoires fréquentes”, commente le cabinet ayant réalisé l’étude. Au regard de ce acteur, l’enquête estime la situation préoccupante dans des sites comme Verescence-les-Bains, Saver Glass au Havre, Costet à Sartrouville.
Concernant l’autonomie laissée aux salariés (latitude décisionnelle, LD), les scores sont majoritairement inférieurs à la moyenne nationale observée lors de l’enquête Sumer. “Cela indique des organisations du travail laissant plutôt peu d’autonomie dans les prises de décision et de marges de manoeuvre aux salariés, dont les activités peuvent être répétitives ou peu variées et où le développement des compétences peut être important en début de carrière mais peu valorisé ou rendu moins possible par la suite”, commente le cabinet. Sont ici pointés des sites comme Terreal, Saver Glass au Havre ou encore Costet à Sartrouville.
Enfin, concernant le soutien social (SS), les scores obtenus par les entreprises du secteur sont là encore plus faibles que la moyenne nationale, “ce qui atteste de collectifs de travail dans lesquels les capacités de soutien professionnel et/ou émotionnel des collègues et/ou des supérieurs sont faibles ou limitées”. Les auteurs de l’enquête soulignent que des sites comme Vertrotech Saint Gobain et Saint Gobain Trelaze sont en-dessous des moyennes.
49% des salariés se disent exposés à des agressions verbales
De façon générale, alors que 80% des salariés jugent leur salaire non satisfaisant au regard des efforts fournis, 69% des salariés disent devoir travailler “intensément”, 55% voient l’avenir de leur métier menacé, 53% déclarent recevoir des indications contradictoires, 49% sont souvent ou quelquefois exposés à des agressions verbales, 47% jugent leurs horaires incompatibles avec la vie familiale, et 42% qualifient de “brutaux” les changements subi dans l’entreprise ces dernières années.
Enfin, à l’heure où la réforme des retraites suscite un conflit social dans le pays, seuls 19% des salariés ayant rempli le questionnaire se voient capables de faire le même travail qu’aujourd’hui quand ils auront 62 ans, 82% ressentent sur leur santé physique les effets du travail et 67% sur leur santé mentale, 49% estimant que leur entreprise ne propose pas de postes de reclassement en cas d’inaptitude.
Pour Mohammed Oussedik, le secrétaire général de la fédération CGT verre et céramique, cette enquête montre “des salariés en grande souffrance”. Elle corrobore aussi ce que les délégués syndicaux sentent sur le terrain, à savoir “l’absence de reclassement pour les salariés qui ne supportent plus physiquement le travail et de nombreuses ruptures conventionnelles”. Pour le responsable syndical, les problèmes découlant de l’intensité physique du travail et de la charge mentale doivent devenir des sujets de négociation entreprise par entreprise et ne plus être considérés comme relevant de problèmes individuels. “Et il n’est pas du tout sûr que cela soit néfaste sur le plan financier pour ces entreprises, qui sont confrontées à l’absentéisme et au coût que cela représente”, ajoute Mohammed Oussedik.
(*) Ce cabinet avait déjà réalisé un travail similaire pour le compte du CHSCT de l’entreprise Oxens IIlinois, qui emploie 2 000 salariés en France. L’enquête a entraîné la négociation d’un accord prévoyant la réduction de la précarité des travailleurs. La fédération CGT verre et céramique a décidé de lancer le même type d’enquête au niveau des branches. Cette démarche rappelle celle lancée par le SNB (CFE-CGC) pour évaluer les risques psychosociaux dans le secteur bancaire.